J'ai de plus en plus la preuve que je ne dois pas me laisser berner par le titre. Celui-ci ne m'attirait pas non plus. Et on dira ce qu'on voudra, bien qu'il ne s'agisse que d'une fraction infinitésimale d'une oeuvre, le titre fait quand même figure d'enseigne, ça peut quand même attirer. Ici, ça avait quelque chose de docte, d'un peu trop vieille philo. C'était bien le cas, pour le fond. Mais pour la forme... on est en plein dans ce siècle.
Tout se passe autour de deux amis d'enfance qui reprennent le bar du petit village corse où l'un d'eux est né, et où l'autre a passé ses vacances toute sa vie durant, ses parents étant originaires de l'endroit. Pour le premier c'est une installation définitive, pour l'autre, un retour. En fait, les deux reviennent après des études en philo à Paris.
Les deux sont Corses sans l'être, un par adoption, l'autre par le sang. En parallèle à l'histoire des deux garçons, il y a celle du grand-père de l'un d'eux, un genre de survivant du dernier siècle, une espèce de modèle qu'on n'aurait pas voulu suivre mais dont la vie d'infortunes semble avoir tracé la voie aux autres. Et il y a aussi Saint-Augustin et son Sermon sur la chute de Rome. Vous n'en aviez peut-être jamais entendu parler avant, moi non plus. Ne vous en faites pas, vous le comprendrez. Ce fil conducteur vous aidera, comme toute pensée philosophique, à vous faire une opinion des portraits qu'on est en train de vous dépeindre. Quelle superbe idée.
La question qui se pose, pour tous les personnages du Sermon... est de savoir s'ils ont fait les bons choix de vie. A-t-on vraiment le choix? Qu'est-ce qui motive nos choix? Nous mêmes? La famille? La pression sociale? Le destin?
Ces Corses, qu'ils le soient à 100% ou par adoption, donnent l'impression d'être emportés par un courant plus fort qu'eux. Ferrari nous les montre tels qu'ils sont, assez crument. Ce sont fondamentalement des êtres bons, dirait-on, résiliants, déterminés, mais dotés d'une faiblesse commune qu'on arrive mal à définir, un genre de guigne ambiante. En fait, cette histoire nous fait nous demander s'il n'en va pas des peuples comme des individus: certains ont eu plus de chance que d'autres, certains ont eu plus d'argent, de meilleurs parents, une meilleure éducation... Et si on ne possède que des parcelles de tout ça, à moins d'être plus forts, plus déterminés, plus résiliants que les autres, on risque de finir plutôt mal, comme certains personnages. Et tristement, on dirait que ceux qui s'en sortent le mieux sont ceux qui quittent le navire...
Jérome Ferrari a l'écriture proustienne. Une phrase peut facilement faire une page entière, voir deux. C'est un genre de prose qui me fait parfois avancer plus difficilement. Or voilà, peut-être était-ce voulu, parce qu'au bout d'une dizaine de pages, j'étais complètement subjugué. Faut dire que le livre commence fort en mettant la table avec la description absolument formidable d'une image du passé. On s'apercevra plus loin que même si on prétend souvent le contraire pour toutes sortes de raisons, rien, au final, n'a vraiment changé. Pas dans le monde ce des personnages, en tout cas.
Plutôt sombre, le Sermon... comprend quand même des personnages lumineux mais surtout, une force d'attraction incontestable. Je l'ai assimilé en quelques heures et si vous êtes dans les bonnes dispositions pour le faire, je vous souhaite une aussi grande expérience de lecture que la mienne. De toute évidence, l'Académie Goncourt (prix remis en 2012) fait de bons choix.
Une grande oeuvre.
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