mardi 7 mai 2013

Le coeur de l'homme, par Jon Kalman Stefansson, éditions Gallimard

"... les mots produisent certains effets sur les gens, tu devrais le savoir, surtout lorsqu'ils sont écrits, en réalité ils entrent au plus profond de toi et ne te laissent plus aucun répit, c'est difficile, et pendant ce temps-là on doit continuer de vivre sa vie comme si de rien n'était."

Voilà, je crois que tout est dit. J'ai cru bon retenir cette portion de texte parce qu'elle résume non seulement l'état du lecteur amoureux des mots de Jon Kalman Stefansson, mais aussi l'essence même de ce que sont les trois livres qui racontent les aventures du personnage principal appelé "le gamin". S'il frôlera la mort régulièrement, il la côtoiera tout autant, ce qui lui fera d'autant plus apprécier la vie. On le verra devenir ce qu'on voudrait qu'il devienne. On lui souhaitera de pouvoir pousser tout ça plus loin, son talent, son amour. Mais la mer est encore là, jusqu'à la dernière page...

Cette épopée se passe dans l'Islande des premiers bateaux à vapeur. Dans le premier livre, un homme trouvait la mort à cause d'une distraction causée par une lecture. Cet homme était un pêcheur en haute mer, comme d'ailleurs la plupart des personnages. Ces contradictions apparentes donnent une idée des romans de Jon Kalman: dans des décors durs, vivent des âmes douces. Ne jamais se fier aux apparences.

Dans Le coeur de l'homme, le troisième d'Une trilogie, le second opus étant la tristesse des anges, un capitaine fort et fier périra dans son bateau avec son chat, son amante veillera à s'affranchir des jugements de la société qui l'entoure, et le gamin sera confronté à deux types de vagues: celles de la mer glaciales, et celles de la société bien pensante. Des scènes fortes se succèdent ici aussi, mais au contraire des deux livres précédents, l'action se déroulera cette fois en majeure partie dans un village, en un milieu qu'on pourrait qualifier "d'urbain".

Cet auteur décrit d'une façon onirique les paysages les plus déserts, rend diserts les êtres les plus renfrognés. Il décrit un monde fascinant, souvent terrifiant, dont on ne sait s'il tend vers le bonheur ou le malheur. Cette écriture est respectueuse du lecteur parce qu'intelligente et franche. On a beau frôler la poésie, on peut quand même être compréhensible. Je sais, c'est un peu fort d'écrire ça, mais vous lisez ici le commentaire d'un lecteur avide de beaux mots et de bonnes histoires pour qui la poésie pure n'a que rarement opérée. J'associe souvent poésie avec art contemporain. J'y vois souvent des énigmes que seule de rares initiés parviennent à déchiffrer. Or, on dirait que l'amalgame de descriptions que je m'avance à décrire comme "poétiques" avec l'atmosphère d'un roman à l'histoire on ne peut plus concrète et tangible, eh bien ça fonctionne. Jon Kalman est de la famille des Barrico, Saramago, Kundera, Fosse: ces auteurs racontent en peignant. Chacun de leurs mots, chacune de leurs couleurs sont francs eet franches. Les romans de l'Islandais se déroulent dans un pays rude que ses mots transforment en terres parfaites pour des histoires de quêtes de bonheur, de la vie, de sa vie. Pas besoin de me demander si j'apprécie...

"Rien n'est difficile lorsqu'on est libre", dira une des personnages du Coeur de l'homme. Sa seule quête vaut à elle seule le livre, et pourtant, elle n'en constitue qu'une petite partie. Plusieurs autres sont à découvrir.

Si vous avez déjà lus Entre ciel et terre ainsi que La tristesse des anges, installez vous confortablement et partez en voyage avec Le coeur de l'homme. Et si vous ne connaissez pas encore Jon Kalman Stefansson, sachez seulement que sa seule lecture aurait pu, à elle seule, justifier la tenue de ce blogue.

Et encore, à souligner, l'exceptionnelle et juste et remarquable qualité de la traduction d'Éric Boury, sans qui ces superbes histoires ne seraient pas parvenues jusqu'à nous. Quel superbe travail.

Pourvu qu'il y en ait d'autres, avec ou sans "le gamin".

2 commentaires:

zigzag a dit…

J'aime et je partage totalement (et avec les yeux qui pétillent!) cet avis...

(et j'aime cette phrase aussi : "Et si vous ne connaissez pas encore Jon Kalman Stefansson, sachez seulement que sa seule lecture aurait pu, à elle seule, justifier la tenue de ce blogue.")

Jérôme a dit…

Magnifique trilogie, je suis tout à fait d'accord. Et la traduction d'Eric Boury est absolument remarquable. Une lecture totalement indispensable si 'lon aime la littérature, cette petite musique des mots qui vous transporte littéralement.