dimanche 4 novembre 2012

Les frères Sisters, par Patrick De Witt, éditions Alto

Si on ne m'avait pas offert Les frères Sisters, je ne l'aurais jamais lu. Quoi, moi, lire un western? Non mais, je suis un lecteur sérieux! Du fin fond de mon snobisme non-avoué de lecteur qui prétend chercher le meilleur de la littérature, j'aurais utilisé tous les prétextes pour éviter un roman qui se dit "western". Or, j'aurais manqué une expérience absolument fantastique. Les frères Sisters quittent l'Oregon pour San Francisco. Leur mission: éliminer un homme que leur patron veut éliminer. On ne pose pas de question. Les deux truands enfourchent leur cheval et partent. Le narrateur est l'un des deux frères. Il nous raconte leur épopée. La route est longue, donc les arrêts nombreux, les rencontres aussi et par le fait même, les péripéties. Au fur et à mesure qu'ils avancent, on est témoins de leurs aventures, mais aussi, grâce au narrateur, on connaît de plus en plus les deux protagonistes, et on s'étonne que le narrateur soit celui-là des deux. Bien sur, ils se connaissent bien puisqu'ils sont frères, et qui plus est, ils ont toujours été ensemble. Pareils, différents, les frères Sisters sont liés par leurs obligations et leur histoire. Ils partagent la même vie, les mêmes antécédents, et aussi le même boulot. Si la fatalité de leur vie les touche tous les deux de la même façon, il n'en est pas nécessairement de même pour ce qui est de leur boulot. Ont-ils le même but? Vivent-ils chacun de leur côté les mêmes histoires de la même façon? D'un western raconté par un cowboy, on s'attendra à force clichés et situations déjà vues. Tel n'est pas le cas avec Les frères Sisters qui sont très près des personnages de Beckett. Rustres, animaux dans leur violence et naïfs dans leurs rapports aux autres, les frères sont dotés, par leur auteur, de la faculté de "réfléchir à ce qu'ils font", ce qui mène ce livre à travers des scènes superbes. Le ton de ce livre, tant dans la narration que dans les dialogues fait penser à Beckett, un Beckett de ce siècle parce que crû, très crû même. Certaines répliques vous feront crouler de rire, alors que des scènes pourraient choquer des âmes sensibles. Et pourtant, il flotte au-dessus de cette histoire une aura d'intelligence hors du commun. Pourquoi, se dit-on tout du long, ceci est-il en train d'arriver? Alors on continue, on veut savoir. Un cowboy qui se lave les dents, un cheval borgne, une comptable, des hommes aux pieds violets: quantité de personnages parsèment cette histoires incroyable. Quant à la trame narrative, elle se déroule sur fond de ruée vers l'or avec des scènes fortes ou drôles ou belles. À un moment donné, je vous garantis que vous entendrez une pièce d'Ennio Morricone, c'est certain à 99%, et ce même si aucune allusion n'y est faite. Cette scène où supposées victimes et prétendus bourreaux se rencontrent fait déjà partie des plus belles scènes que j'aie jamais lues. Et à la fin, je suis certain que plusieurs d'autres auront, comme moi, la gorge serrée. La fin est symphonique. Les frères Sisters termineront plusieurs choses, ce qui sera prétexte à plusieurs choses qui rendront les dernières pages de ce livre particulièrement fantastiques.
Les frères Sisters traitent de la liberté, des choix qui s'imposent dans nos vie, de ces chaînes qu'on s'impose toujours sciemment et des conséquences qui s'en suivent. Qui, au bout du compte, sont les être les plus libres? Et que sommes-nous vraiment si nous ne sommes pas libres? Les gros durs cowboys, les fluets intellos, les maîtres et leurs valets, qui, de tous ceux-là, sont vraiment les plus forts? Ce roman est absolument réussi, parce que très original. Et surtout, ne pas oublier de souligner l'excellente traduction D'Emma et Philippe Aronson. Le ton employé est tout à fait le bon, très juste et rend parfaitement crédible les personnages, leur époque et leurs aventures. Seulement s'étonnera-t-on qu'on calcule les distances en kilomètres... mais bon, rien n'est parfait... En terminant le livre de Patrick De Witt, auteur canadien résidant aux États-Unis, j'ai rapidement réalisé que les personnages des frères Sisters me manqueront énormément. C'est là le signe indéniable d'un grand livre. Si vous avez envie de quelque chose de totalement nouveau qui décoiffe, lisez absolument Les frères Sisters. Très chaudement recommandé.

4 commentaires:

zigzag a dit…

Alain, vous m'avez convaincu! Je vous redirai.

Alain a dit…

Je l'espère bien!

zigzag a dit…

bah voilà, c'est lu, dévoré et savouré! Je suis tout d'accord avec vous sur chaque point de votre critique! Alors merci ! !(au fait, j'ai eu la chance de croiser (très rapidement) M. Jon Kalman Steffanson... il y a quelques semaines!)

Anonyme a dit…

Il y a plusieurs anachronismes dans le livre, comme par exemple, Eli qui se préoccupe de son poids pour plaire à une femme. Le fait que les distances soient calculés en kilomètres en fait parti.