mercredi 12 février 2020

Les abysses, par Biz, éditions Leméac

Le hasard m'a fait lire deux livres de suite où le personnage principal est en prison. Avec Jean-Paul Dubois, on était à la prison de Bordeaux, à Montréal. Avec Les abysses, on se retrouve à Port-Cartier, sur la Côte-Nord. Il faut dire que le crime présumé du personnage créé par Biz est autrement plus lourd que celui du Goncourt 2019. Et il y a plus: pas de Montréal ici. On est à Baie-Comeau, et par extension, sur la Côte-Nord, une région québécoise trop peu connue. Vous vouliez changer de décor? Biz vous en donne l'occasion. Et pas juste un peu.

Comme pour les dernières choses que j'ai lues de lui, Biz nous entraîne dans les profondeurs de l'âme humaine et du désarroi avec des personnages qui n'ont pourtant rien de menaçant. Ici, une jeune fille vit avec son père à Baie-Comeau, la mère étant décédée à la naissance de l'enfant. Bien sur, les deux ne l'ont pas eu facile, mais leur vie a, jusqu'ici, été somme toute ordinaire. Mais qu'est-ce qui a pu mener le père dans un pénitencier à sécurité maximum? Sa fille, rendue seule et dont la vie dépérit à force d'avoir à endurer les conséquences de ce qui lui a enlevé son père, va lui rendre visite de temps à autre en prison. Elle aussi le voit dépérir. Les deux vont mal. Autour d'eux, la société d'une petite ville suis son cours avec tout ce que ça implique de vivre en région... ce qui aura inévitablement un impact sur ce qu'il leur reste à vivre, comme sur ce qu'ils ont vécu, d'ailleurs.


À peu près au milieu du livre, on retourne dans le passé pour vivre ce qui les a mené là. Avec un des personnages en prison, on devine assez aisément qu'on aura affaire à un drame. À ce drame, Biz ajoute une enquête policière. Sans prendre toute la place, cette enquête occupera un espace du récit que j'ai moins aimé, parce que plus classique avec ses policiers classiquement sagaces et les concours de circonstances qui meublent toujours une enquête policière. Là n'est pas la force du livre.

Les abysses de Biz, c'est d'abord un environnement, comme d'ailleurs tout ce qu'il décrit. Cet auteur a justement le talent de décrire. Ses mots sont efficaces, tranchés. Québécois jusqu'aux tréfonds, Biz a un total contrôle sur l'environnement qu'il décrit. Sa documentation est vivante et pas seulement didactique. On sent que s'il nous parle d'un endroit, c'est qu'il l'a vécu en même temps que de l'avoir senti. Quant à sa nationalité et tout ce que ça concerne de politique et de social, il y a toujours une petite référence à tout ça dans ses récits, référence parfois subtile, qui fait la signature du personnage public qu'est devenu cet auteur intelligent.

Si on sourit en lisant Biz, c'est par la vérité criante de ses personnages qui nous ramènent souvent à des faits qu'on a souvent vécu. Il n'est pas donné à tous les auteurs de savoir décrire le réel. Biz le fait bien.

Plus je lis Biz, plus je l'aime, même si je sais qu'il ne plaira pas à tous. Son écriture est très crue. Ici, avec Les abysses, le fond auquel il touche, c'est celui des choses les plus simples, des gens qui nous entourent, du monde apparemment immobile qui peut déraper. Comme nous, d'ailleurs. On a l'air de rien, comme ça, mais on a tous, autant que nous sommes, le potentiel pour se retrouver dans les abysses comme aux plus hauts sommets. L'éventualité de se retrouver à l'aune ou l'autre de ses extrémités est effrayante, et c'est ce qu'il nous raconte ici.

Aucun commentaire: