dimanche 7 février 2016

Il était une ville, par Thomas B. Reverdy, éditions Flammarion

S'il est une ville qui mérite d'être racontée à notre époque, c'est bien Détroit, qui constitue le décor, tout à fait glauque et déglingué, de ce roman.

Le personnage principal est un Français qui y est parachuté par son entreprise pour y coordonner le début d'un projet industriel. C'est louche, puisqu'on est à la veille de la crise de 2008. C'est ce que le mec constate, lui qui revient tout juste d'un projet dont on l'a retiré en Chine, parce que ça n'allait pas. Mais il s'installe dans sa nouvelle ville et nous la fait découvrir avec son oeil d'expatrié. C'est déjà fort intéressant, mais avec quelques "mais". J'y reviendrai.

En parallèle, on a l'histoire d'une petite gang de jeunes d'un quartier de la ville, à peine sortis de l'enfance. Familles non-traditionnelles, milieux défavorisés, ils trainent dans les rues et s'amusent bien en profitant du vide ambiant, jusqu'à ce qu'un événement les pousse à fuguer dans un endroit vraiment particulier. Traitée avec beaucoup de finesse, cette partie du livre se distingue par une sensibilité particulière, un regard différent et très touchant sur l'enfance.

Puis apparaît un policier, victime, administrativement parlant, de ce qui arrive à sa ville. Celui-là amènera au livre, déjà étonnant pour le tableau qu'il nous dresse d'une ville d'une ville en déclin, une enquête policière qui ajoute une couche de noir supplémentaire à un livre aux couleurs déjà pas mal foncées.

Il était une ville n'est pas pour autant un livre noir, mais gris avec, en son centre, une pointe de lumière amenée par une aventure que vivra le personnage principal. L'utilisation de Détroit et de ses quartiers qui s'écroulent aurait pu tomber dans le cliché, mais son utilisation, sauf exception, nous porte plutôt à réfléchir sur une échelle plus grand que celle de la seule ville de Détroit. Et si c'était plus qu'une ville qui était en train de s'écrouler? C'est en tout cas ce qu'on se dit en terminant ce livre, qui se termine pourtant sur une constatation porteuse: et malgré tout ça, la vie continue. Reverdy écrit bien et amène parfois des réflexions très justes à travers les yeux de ses personnages. Son livre est celui d'un observateur attentif et sans aucun doute fasciné par ce qu'il se passe là. C'est aussi le regard d'un Européen sur un pan récent de l'histoire d'un côté du monde qui est de moins en moins Nouveau... et c'est là où apparaissent quelques bémols.
Attention, mes petits reproches ne seront sans doute appuyés que par les lecteurs vivant, comme moi, du même côté du monde que la ville de Détroit. Re-attention: petite alerte "ah-les-grands-espaces-recouverts-de-neige". Vous me voyez venir? L'oeil européen sur l'Amérique, surtout celui de qui s'en éprend, comporte toujours les mêmes bons vieux clichés. Et si l'auteur se laisse emporter plus ou moins naïvement, ça peut exaspérer un peu le lecteur nord-américain. Ainsi une scène ou le personnage principal traverse la frontière et va au Canada pour s'acheter un manteau chaud dans une boutique "spécialisée dans les expéditions polaires et la chasse à l'ours". On parle ici de Windsor, Ontario... Bon. Pour les Européens, si je voulais faire image, je dirais que c'est comme si un visiteur, arrivant en France par l'Espagne, cherchait à se procurer un ticket pour visiter la tour Eiffel dans un bar tabac de Perpignan. C'est foncièrement possible, mais extrêmement peu probable qu'il en trouve un, vous trouvez pas?

Puis cette scène, qui reviendra parfois, où les enfants jouent dans un champ un peu à l'écart de la ville, à être des... cowboys et des indiens. Or, on est quelque part autour de 2008. Oui, bon, il est possible que de petits Américains jouent encore aux cowboys et aux indiens et se prennent pour des Sioux (encore les Sioux, toujours les Sioux...), mais qu'on me permette de supposer qu'il sont vraiment, mais alors là vraiment très peu nombreux. Mais bon...

Outre ça, ce livre est très fort, très sensible aussi, mais aussi très dur, et ce surtout dans une scène, en fait dans la seule scène vraiment très dure, très violente, à la limite du supportable, qui, par son unicité, contribue à faire de ce livre un objet franchement étonnant.

Pour un regard nouveau sur notre époque et une écriture droite et sensible... et un beau voyage dans l'Amérique profonde: recommandé.

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