Ce livre écrit en anglais a été traduit sous le titre "Ici n'est plus ici" aux éditions Albin Michel.
Il y avait un petit moment où je n'avais pas refermé un livre avec une telle émotion, celle du manque d'air, de la victime du jab en plein estomac. Et pourtant, la puissance de ce livre raconte l'impuissance. Mais il raconte aussi la meilleure façon pour s'en sortir: la fierté.
Avant les chapitres de There There, on a un petit lexique où chaque personnage est décrit en un paragraphe. Ça semble bizarre, mais c'est élégant, sympathique. Çs nous met dans le ton. Puis ça commence.
On est à Oakland. Dans chaque chapitre, un habitant différent de la ville se raconte. En fait ça, dépend; pour certain, l'histoire est au "je", pour d'autre, à la troisième personne, et même pour une autre, au "tu". Chaque histoire est différente mais chacun ont en commun de vivre dans cette ville, et même d'y être né pour la plupart, mais aussi d'avoir une origine amérindienne. Sur ce dernier point, pour certains, c'est clair et important, mais pour d'autres, c'est moins clair et pas vraiment important.
Un autre point que tous ont en commun, c'est que la vie n'est pas simple. Oakland s'embourgeoise alors que pour eux, la vie est compliquée: familles reconstitués, petits boulots, déménagements fréquents. C'est jamais vraiment simple. Pour la plupart, il y a un sentiment de "Mais qu'est-ce qui m'est arrivé?" ou de "Pourquoi je suis si mal?". Dans l'ordinaire de vies ordinaires, on sent un mal être soit profond, soit en surface, mais constant. Pour certains, c'est si évident que l'exutoire le plus commun, l'alcool, semblera le seul remède. Pour d'autres, une envie de réaliser quelque chose, de créer, prendra le dessus. Un besoin d'affirmer quelque chose, de montrer quelque chose.
Dans une scène, un personnage décrit avec précision l'état second qu'apporte l'alcool, cet oubli artificiel qui devient, au fil de sa vie, comme un but à atteindre, comme une seule issue. Tout ça sans trop savoir ce qui l'a mené là. Un autre personnage raconte comment est sa vie avec le syndrome d'alcoolisme foetal, et une autre encore, comment et pourquoi elle a dû donner son enfant en adoption. Il y a là beaucoup de drames, oui, mais décrits avec une tendresse telle qu'elle devient puissante et qu'elle vous fait vous attacher même à ceux pour qui la vie n'est vraiment pas d'aider celles des autres. Parce qu'à force de recevoir des coups, on en vient à savoir comment en donner...
Chaque personnage converge vers un événement qui fera culminer le livre pour sa finale dont je ne peux que vous dire, pour ne rien dévoiler, qu'elle vous ramène au fait qu'il s'agit bien d'un roman américain, qu'il y a de ces choses qui n'échappent pas à cette culture, soit-elle WASP ou amérindienne. Cette fin vous laissera pantois, mais certainement pas indifférent, comme tout ce livre, différent mais actuel du simple fait qu'il raconte des citoyens amérindiens vivant et nés en ville au 21e siècle.
L'écriture de Tommy Orange est d'une clarté qui fait du bien, tellement qu'elle adoucit la propos de ce qu'elle raconte. C'est rare. Rare aussi de sentir un tel amour de ses personnages, quels qu'ils soient.
Tommy Orange nous emmène à des kilomètres de la mondialisation et des extrémismes nationalistes en nous parlant du rapport à soi et de son environnement. On aura beau se prétendre citoyen du monde, on est toujours unique et particulier. On aura beau se prétendre unique et particulier, on fait quand même partie du monde. C'est ça, There There. Quelle réussite. J'en suis encore ému juste à regarder une photo de l'auteur. J'espère que vous ressentirez la même chose.
Oakland est en train de prendre un côté mythique, ou à tout le moins référentiel de l'Histoire récente des USA. J'en veux pour preuve ce premier livre de Tommy Orange, mais aussi l'excellent Telegraph Avenue, de Michael Chabon, qui m'est resté en tête longtemps, et que je recommande à qui veut s'imprégner davantage de l'ambiance de ce coin encore inconnu d'un pays malheureusement trop connu.
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