jeudi 21 mars 2013

Telegraph Avenue, par Michael Chabon, éditions Harper & Collins



Je ne sais s'il ne s'agit que de mes seuls choix, mais j'ai tendance à croire que la littérature américaine traverse une époque formidable. Avec un cinéma qui ne nous apprend plus rien sur ce grand peuple, avec un produit culturel populaire envahissant et désespérément répétitif, des romanciers se faufilent et se démarquent en utilisant ce que la plupart des "majors" américains n'ont plus: la liberté de dire.



Michael Chabon s'inscrit parmi ces électrons libres qui dressent des portraits de ce qui se passe en des endroits et des époques dont on ne sait rien ou très peu. Telegraph Avenue est une rue d'Oakland, une ville californienne dont les standards américains actuels ne se nourrissent pas vraiment. Or, dans les années 70, c'est là où ont milité les Black Panthers, qui a prônaient l'utilisation de la violence pour parvenir à la reconnaissance des droits des Afro-Américains. Si l'action de Telegraph... se passe de nos jours, elle puise beaucoup dans cette époque trouble, et c'est passionnant.



Or, si l'histoire est enlevante, le style de Chabon, lui, mérite d'être mentionné. Michael Chabon a une écriture que je décrirais comme "rococo". Avec lui, ouvrir une porte et entrer dans une pièce peut se faire pendant trois pages parce qu'un geste peut faire penser à un autre exécuté il y a quelques années où il y avait quelqu'un qui fait justement penser à ce personnage tiré d'un film où il faisait quelque chose qui... etc, etc. Vous voyez le genre? Au début, c'est exaspérant. Telegraph... n'est pas mon premier ouvrage de cet auteur et à chaque fois, je me fais prendre. Les 50 premières pages sont pénibles, c'est comme trop, on ploie sous les mots et les références à toutes sortes de choses. Puis, arrive une scène, un genre de miracle à mi-parcours, une phrase-fleuve de 10 pages où le vol d'un oiseau résume l'histoire, les ambiances, les enjeux, dans des mots truffés d'images qui vous font vous approprier tout ça et paf!, on est lancé, la table est mise, et on lit le reste sur le bout de notre siège.



En termes de personnages, ceux de Chabon ont quelque chose de balzacien: des gens du peuple, à première vue ordinaires, mais qui s'avèrent de plus en plus typés, voir carrément atypiques au fil de l'histoire. Ici, deux gars possèdent une échoppe de disques vinyles. Or, un développement commercial est prévu. Un bon vieux centre d'achat menace de les déloger. Leurs épouses respectives sont sage-femmes et travaillent ensemble. Le métier est respecté par la clientèle, mais pas particulièrement par la gent hospitalière... Ajoutez au tableau qu'un des deux couples est Noir, l'autre Blanc, que personne ne roule sur l'or, et que certains cachent des squelettes dans leur placard, et voilà: bienvenue à Telegraph Avenue.







Ce livre aborde plusieurs tabous dont celui des relations raciales, mais aussi du pouvoir de l'argent et de la sortie de l'enfance, de la découverte du "vrai monde". En fait, il est beaucoup question de justice, de qui la possède et surtout, de qui y tient, qui en profite, qui en est victime.



Si la fin n'est pas spectaculaire, certaines scènes du livre le sont. Vous serez choqués, très même, parce que rappelez-vous qu'il ne s'agit pas d'un film américain, mais du roman d'un auteur libre et sans contraintes. Exit le politiquement correct. Chabon écrit sans aucune retenue et s'il choque, il ne fâche pas, et ne raconte rien gratuitement.



J'ai lu Telegraph Avenue dans sa version originale en anglais. Si vous vivez du côté américain de l'Atlantique et que vous êtes familier avec l'anglais, je vous suggère de vous méfier d'une traduction en français qui risque d'édulcorer passablement l'ambiance, avec des mots d'un argot d'un autre continent. Mais quand même, je donne une chance à la version française à paraître, et qu'importe la langue que vous choisirez, je vous recommande Telegraph Avenue chaleureusement.

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