lundi 29 juillet 2024

Comme un long accident de char, par Joël Martel, éditions La Mèche

Il faut d'abord dire que le titre est superbe, et il l'est d'autant plus qu'il est tiré d'une superbe métaphore utilisée par l'auteur dans son livre. Ce qui est "Comme un long accident de char", Martel en parle joliment, et avec le regard du connaisseur, de celui qui sait de ce dont il parle. Ses histoires personnelles de rencontres avec la mort sont non seulement sympathiques, mais aussi pleines de respect pour les petitesses et les grandeurs des personnages qu'il décrit. J'aime bien lorsque l'auteur aime les gens. Ça se sent, même à travers la description de leurs défauts les plus sordides.

Martel écrit avec plein de couleurs. Ses portraits des gens de son entourage donnent à chacun des traits particuliers qui nous les rendent sympatiques, d'autant plus que l'environnement dans lequel tout ce beau monde gravite n'est pas nécessairement le plus beau. Pas le pire, mais, mais pas éclatant non plus. La vie, dans une petite ville comme Alma, dans le Lac St-Jean que je qualifierais de "non touristique", est beaucoup plus jolie lorsque c'est quelqu'un qui la connaît par coeur qui la décrit. Pour ça, Martel en est un excellent ambassadeur.

Les portraits de vies comme comme ceux d'un tel livre peuvent facilement tomber dans le misérabilisme ou la douce revenge,par exemple, ce qui peut gâter la sauce. C'est le contraire ici, comme d'ailleurs avec cet autre des éditions La Mèche, que j'ai eu le plaisir de lire juste avant. Bravo à cet éditeur qui sait trouver de bons raconteurs. Je viens d'en décourir deux de suite et je suis agréablement étonné.

Qu'on s'y reconnaisse ou pas, ce type de récit fait du bien et finit par nous toucher beaucoup. Faut dire que Martel garde les moments les plus forts pour la fin. N'empêche, on ne s'ennuit pas avec lui, même que j'en aurais bien pris quelques pages de plus.

Recommandé!

dimanche 21 juillet 2024

Mélasse de fantaisie, par Francis Ouellette, éditions La Mèche

Ceci n'est pas un livre triste, contrairement à ce que plusieurs en ont dit, ce qui d'ailleurs, m'a fait attendre si longtemps avant de le lire. Je redoutais quelque chose de violent et de lugubre. Violent ça l'est, mais comme certaines vies le sont parce que le réflèxe d'auto-défense est à "on" en permanence.

En parallèle aux premières années de sa vie, Francis Ouellette décrit la vie de son quartier, et d'un milieu dont on a peine à s'imaginer qu'il existe encore. Et pourtant oui, de ce côté du monde, il existe encore de ces natifs de vieilles familles qui se sont transmis des guides de survie pour tout héritage. Les personnages décrits par l'auteur vivent dans le strict nécessaire, sans s'imaginer que ça puisse changer. Ces gens n'ont pas appris à s'imaginer autrement que ce qu'ils sont. Alors c'est au plus fort la poche, et pas de pitié pour les faibles, ce qui inclut les enfants.

Ouellette décrit sans filtre un monde vraiment très dur, mais avec une constante qui ressort à quelques endroits dans son récit: mais qu'-est-ce qu'y fait que je reviens ici? Plusieurs fois, il décrit le quartier comme "son" quartier, "son" monde. En fait, ce livre en est un d'identité, où on assiste à un genre de coming out dont on entend peu parler: proclamer son identité sans honte, en l'assumant, quelle qu'elle soit.

C'est ce que j'ai ressenti en lisant le récit de cet auteur qui sait mettre des touches de poésie et de tendresse dans ce que d'aucuns qualifieraient de trash, et qui sait aussi nous décrire des images d'amour tellement crues qu'on se demande si c'est bien ça. Mais oui, on voit bien qui protège qui, et quand, malgré tout ce qui virevolte et tout ce qui se crie. À lire un livre comme ça, on constate que mal aimer, c'est aimer quand même.

Mélasse de fantaisie a soulevé ma révolte, mon indignation, m'a foutu en colère et m'a fait m'attendrir devant des personnages qui se croient faibles mais qui, au bout du compte, sont sans doute cent fois plus fort que moi. C'est écrit avec fougue, beaucoup d'honnetêté et des mots justes que j'espère lire encore dans d'autres titres.

Premier livre réussi!

dimanche 14 juillet 2024

Un jardin l'hiver, par Clara Grande, éditions Le Cheval d'août

Ce livre raconte, en de courts tableaux, les interactions d'une préposée avec la clientèle d'un centre de réadaptation attenant à un CHSLD (une résidence de soin pour personnes âgées). L'autrice les entremêle à des épisodes de sa vie personnelle où la recherche de l'âme-soeur prend un part importante. Bien que l'époque soit celle juste après la pandémie, les scènes décrites ne tournent pas autour de tout ce qu'on a entendu de triste et d'épouvantable pendant cette période. Il s'agit plutôt de scènes de la vie quotidienne vécues par quelqu'un qui les côtoie de près. Chaque tableau est court, une page ou deux, l'écriture est simple, très factuelle et douce. La narratrice aborde ses patients comme la vie, avec délicatesse. Cette approche en fait un livre facile à lire et touchant.

Il porte aussi à réfléchir, pas tant par les histoires qui y sont racontées que par la façon dont les personnages sont abordés.

On constate souvent qu'en littérature, les personnages agés sont abordés comme on le fait avec des personnages d'enfant: ils sont souvent les faire-valoir des personnages principaux qui sont le plus souvent au mitan de leur vie, ou à peu près. La place que les personnages plus vieux prennent est bien souvent une représentation de leur faiblesse et de tout ce qu'ils sont en train de perdre. C'est touchant, toujours, et c'est parfois mignon ou attendrissant parce qu'on s'attarde sur leurs réflexions dites à chaud, sans filtre, comme le font les enfants.

C'est ainsi que ces personnages prennent leur place dans ce jardin d'hiver. Ils ne font que passer, comme d'ailleurs les gars que l'autrice rencontre au fil de rendez-vous pris via une application de rencontres. Des patients dont elle s'occupe, on n'a conscience que d'une partie de leur vie, la dernière. Pour les gens qu'elle rencontre, c'est pareil, elle les juge sur une impression reliée au présent. Or, tous sont le résultat d'un passé, d'un environnement dans lequel ils gravitent. Si on prenait le temps, on ferait plein de belles rencontres.

C'est ce qu'il m reste de ce livre tendre et furtif, une impression de frustration de n'avoir pas pu en faire plus, d'avoir pu aller plus loin. Mais si on est sensibles aux gens, alors on peut en retirer de beaux moments.

Un livre à lire doucement, en appréciant le temps présent.

mercredi 3 juillet 2024

Qui a tué mon père, par Édouard Louis, éditions du Seuil

C'est parce que je l'ai entendu quelques fois en entrevue et qu'on en a parlé pas mal à cause de son dernier livre, Monique s'évade, que je me suis dit qu'il me fallait retourner à Édouard Louis. Pour en finir avec Eddy Bellegueule m'avait jeté par terre, mais j'ai comme eu peur de retourner à ses vérités, son monde et sa hargne. J'avais le souvenir de quelque chose de si chargé émotivement qu'il me semblait devoir être prêt mentalement à me replonger dans son oeuvre.

J'avais raison.

Mais... l'indignation de cet auteur est esentielle, en tout cas pour quelqu'un pour moi qui ne lit ou ne prend connaissance d'opinions que par les médias, rarement par les livres. Édouard Louis raconte les travers de ce monde en racontant celui qui fut le sien entre 0 et 20 ans. Il sait donc de quoi il parle, c'est son histoire.

Ici, sa relation avec son père est le prétexte pour raconter, en même pas 100 pages, l'insondable grisaille qui entoure un large pan de la population qui ne se raconte pas par lui-même. Il faut que quelqu'un s'en extraie pour qu'on nous en parle. Ces quartiers, ces appartements où on devine un monde parallèle dont on ne veut pas trop connaître les détails, ce sont autant de petites Corée du Nord, d'Afghanistan locaux dont on n'a pas de nouvelles. Alors quand c'est raconté par un écrivain de talent, on porte une attention à ce monde qu'autrement on ignore plus ou moins volontairement. C'est ce que j'appelle "faire oeuvre utile", et c'est tout à son honneur.

Édouard Louis n'es pas un prêchi-prêcha, mais un reporter. Je crois qu'il faut le voir comme ça. Qui a tué son père? C'est à chaque lecteur de répondre après avoir pris connaissance des portions de sa vie que son fils raconte avec une distance dans l'espace et dans le temps. Bon. Non, c'est pas un polar. C'est plutôt une enquête qu'on mène avec l'auteur. C'est pas sordide, mais profondément triste, pas (trop) violent physiquement, mais psychologiquement éprouvant.

Bref, pour qui cherche des réponses à ce que notre époque est en train de devenir, franchement, y'a là-dedans de vrais bons indices.