mercredi 6 février 2019

Trois jours et une vie, par Pierre Lemaitre, éditions Albin Michel (Le livre de poche)

C'est l'histoire d'un cauchemar total, d'une épée de Damoclès attachée avec un cheveu, d'un oeil de Caïn indélébile. Venant de Pierre Lemaître, ça m'a surpris, et pas vraiment agréablement, et aussi parce que c'est lui, ça m'a totalement chaviré. L'écrivain est certainement irréprochable. Mais ici, le scénariste a peut-être, à mon sens, un peu poussé la note.

C'est l'histoire de quelqu'un qui vivra avec un meurtre sur la conscience pendant toute sa vie, et c'est d'autant plus vrai que le meurtre est commis à l'enfance. On est fixés dès le début du livre: un pré-ado tue un plus jeune que lui, qui sera bientôt porté disparu. Plus que les circonstances du meurtre, c'est l'environnement du drame qui est intéressant. L'affaire se passe dans un petit village français où tout le monde connait tout le monde bien entendu. Le jeune meurtrier vit seul avec sa mère. On est à la fin de l'année 1999, c'est Noël et dans la tête du jeune protagoniste, c'est carrément l'enfer.

Qui a lu Pierre Lemaitre sait combien ses mots sont aiguisés, précis. C'est comme ça qu'il a charmé avec Au revoir la-haut et Couleurs de l'incendie où drames et portraits de personages forts se succédaient de page en page. Ici, c'est la même plume, mais où l'action est remplacé par une tension constante. Pour ma part, c'est le genre de livre, pourtant assez court, où il m'a fallu parfois m'arrêter un peu pour reprendre mon souffle. Pas que ce soit sordide, non. Seulement lourd, un malaise constant.

Or le temps passe, le meurtrier reste avec son secret, mais rien ne va pour lui. Paranoïa, peur, angoisse: pensez à tout ça, il les vit. Mais voilà qu'au bout de quelques jours, le ciel lui tombe littéralement sur la tête parce que les éléments (ouui oui, la météo) qui se déchainent sur le village avec pas une mais deux tempêtes mémorables qui s'abattent sur le village coup sur coup. Résultat: l'attention est détournée parce que maintenant, tout va mal pour tout le monde, puis, paf, on est projeté 12 ans plus tard.

Tous ont vieilli, mais quand même, y'a de ces sentiments qui ne meurent pas. Comment ça finira pour cette âme tourmentée, je ne vous le dit pas. Il faut toutefois relater une chose: j'ai eu l'impression que l'auteur a réglé, avec ce livre, quelques comptes avec une société qu'il n'aime pas et qu'il dépeint d'abominable façon. Dans ce petit village, ceux qui restent ne font pas envie. Les plus près du bonheur sont les plus naïfs, voir pire. Or, le personnage central s'y retrouve aspiré comme dans un vortex et c'est, à mon sens, la plus grande cause de son malheur. Ce portrait d'uns société fermée et bornée m'a beaucoup fait penser à L'archipel du chien de Philippe Claudel, mais en plus hyper-réaliste. C'est comme si le repli sur soi devenait une nouvelle source d'inspiration, comme si la fin du monde s'annonçait non plus par une grande explosion, mais par une inévitable implosion.

Dans le genre, j'ai préféré Claudel. Pierre Lemaitre reste un grand auteur, mais je crois préférer ses fictions historiques à un tel portrait très peu optimiste de notre époque contemporaine.

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