Dans le département d'anglais de la faculté des arts libéraux (Liberal Arts), la majorité des profs ont plus de 15 ans d'ancienneté. Chacun se connaît depuis longtemps. Plusieurs sont même voisins non seulement de bureau, mais de résidence. Ils se connaissent beaucoup, voir même peut-être trop, ce qui implique autant de vieilles amitiés que de vieilles rancoeurs. C'est avec ce bagage émotionnel commun que chacun affrontera une période trouble où l'université menace de couper des postes de profs dans le département.
Les angoisses de chacun sont racontées par le narrateur, un des profs du département, occupant, de façon intérimaire, le poste de responsable du département. Mais voilà, intérimaire ou pas, tous les autres croient dur comme fer que c'est lui qui tient l'avenir du département entre ses mains et donc, une fameuse liste des noms à couper.
C'est dans ce contexte original que Richard Russo raconte les angoisses de chacun des membres du département et à travers elles, les relations entre amis, collègues, voisins, mais aussi de couples et parents-enfants. Car ce prof a une lourde hérédité en la personne de ses parents, eux-mêmes deux anciens érudits issus eux aussi du monde universitaire. Son père est un vieil académicien reconnu en son temps avec tout ce qui va de pédanterie. Et il y a sa mère, un femme bafouée mais fière, et sa femme, prof au secondaire, que tout le monde aime, volontaire, issue d'un milieu de cols bleus avec une hérédité tout aussi lourde, mais pour d'autres raisons. Le couple a deux filles, dont l'une entre dans l'âge adulte avec difficulté.
Cette ribambelle de personnages tourne autour du narrateur, un bonhomme haut en couleur dont le seul but est de se distinguer des autres. Or pourquoi jouer les originaux dans un tel milieu où tout pourrait pourtant si bien aller tout seul? Lui-même se le demande, surtout en cette période où tout semble lui tomber sur la tête.
Sous la plume de Russo, ces questionnements porteurs d'angoisse deviennent autant de portraits décrits par un stand-up comique. Il est difficile de ne pas rire à toutes les 2 ou 3 pages. Ironique, sarcastique à la puissance 10, Russo est un raconteur hors pair. Rarement ai-je lu des réparties aussi savoureuses. Bien sur, on voit là plusieurs références aux sitcoms américains. Ici, il est important de préciser que ce roman a été écrit en 1997. Les amateurs de séries télé feront sûrement le lien avec un style de produits télévisuels propres à l'époque. certains scènes font même (déjà) sourire où des répondeurs et des cabines téléphoniques semblent déjà dépassées.
Le Straight Man de Russo est celui, comme le dit le narrateur à un moment du livre, que tout le monde, dans le département d'anglais tente d'être, comme désir de se distinguer des autres, mais à l'envers. Et cette distinction devient tout aussi intéressante... et universelle lorsqu'elle concerne nos liens de parenté. Qui sommes-nous par rapport à ce que nos parents ont été? Un passage savoureux décrit d'ailleurs le monde en deux groupes, soit ceux qui ont rêvé d'être comme leurs parents et l'autre, qui ont rêvé ne jamais le devenir. Dans les deux cas, ces rêves ont échoué...
Ce sont des réflexions comme celles-là, irrésistibles parce que drôles mais combien vraies, qui rendent ce livre extrêmement agréable. Hors des schémas conventionnels de romans avec scènes d'amour ou d'action classiques, Straight Man nous emmène dans un monde peut-être inconnu, mais pas si complexe parce ce qu'au fond, ne serions-nous pas tous pareils, c'est à dire... complexes?
Une joyeuse lecture qui me confirme combien la littérature américaine est essentielle à cette culture obnubilée par l'image. Vivement l'imagination et la sagacité d'auteurs comme Richard Russo.
J'ai lu ce livre dans sa version originale anglaise. Il est traduit en français sous le (mauvais?) titre: Un rôle qui me convient, aux éditions 10/18.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire