samedi 14 juin 2014

En finir avec Eddy Bellegueule, par Edouard Louis, éditions du Seuil

Y'a de ces livres dans lesquels on entre à reculons, mal à l'aise, avec une impression d'aller à une soirée où on n'avait absolument pas envie d'aller. C'était ça avec Édouard Louis. Ce que j'en entendais dire ne me laissais pas indifférent, mais je craignais comme la peste le misérabilisme, sentiment que j'abhorre par dessus tout.

J'ai aussi eu peur d'un autre Nelly Arcand. J'avoue que Putain est un des rares livres que que j'ai dû abandonner avant la fin. Ce cri m'exaspérait, cette écriture me rendait hors de moi. Vu de l'extérieur, l'histoire d'Eddy Bellegueule ressemblait à ça. Or, j'ai lu la quatrième de couverture... c'est rare qu'un livre m'attrape par là.

D'entrée de jeu, l'auteur dit ne pas se souvenir d'avoir été heureux dans son enfance. Bon. Puis, l'auteur met la table en expliquant très clairement que d'autant qu'il se souvienne, il a toujours été freluquet, délicat, et il faut bien l'admettre: effeminé. Et ce même enfant. Une des premières scènes raconte un crachat reçu en pleine face à l'école. Bien sur, on fait tout de suite le lien avec l'intimidation qui fait rage dans tout bon établissement scolaire, mais attention, c'est loin d'être tout. D'origine franco-française, vivant dans un village du nord de la France, le gars raconte ses parents, sa famille et son monde, son village. Si à l'école la violence est physique, à la maison elle est verbale. Rapidement, ce garçon se rend compte que ce qu'il est, sa nature même, ne répond aux standards de personne, et le drame réside dans le fait que tout ça se passe il y a une dizaine d'années, au début de ce siècle. C'est à vous jeter par terre.

Rien, dans cet environnement où la vie est difficile, où le niveau de vie est bas, où les plaisirs sont rares, n'encourage à la différence. Personne, dans un tel monde, n'est fier de ce qu'il est ni de ce vers quoi il tend. Il y est à peu près impossible de s'y valoriser. Alors s'il vient à passer quelqu'un de plus faible que soi, le côté animal prend le dessus, et tant pis pour le respect, fut-il question d'un voisin, d'un frère ou même de son propre enfant.

Édouard raconte son enfance froidement, aussi durement qu'il l'a vécue. Il n'épargne personne. On pourrait croire à un règlement de comptes, mais pourtant pas, et c'est là où le livre surprend et où il m'a capté. C'est qu'il s'agit plutôt du regard lucide, voir extra-lucide, d'un personnage mis de côté sur la société actuelle. En racontant tout le monde, Édouard Louis nous fait nous rendre compte que tous, dans ce village, sont des victimes. Ils le sont tous autant que lui. On y quitte l'école le plus tôt possible pour aussitôt entrer à l'usine. On y fait tout aussi tôt des enfants rapidement laissés pour compte et toujours, partout, on écoute la télé.

La lecture de ce livre n'a rien de joyeux. Toutes les anecdotes racontées vous retournent les sens et pourtant, il y a quelque chose qu'on comprend. Pour peu qu'on ait subi les affres de ses pairs à l'enfance ou qu'on ait eu connaissance de celles de nos parents, on comprend que ceux pour qui un tel livre pourrait constituer un miroir n'entreront probablement jamais en contact avec un tel objet: un livre. Pourquoi? À vous de tirer vos conclusions. Quant à moi, je refuse de dire que ce pan de la société n'est constitué que de gros cons. Absolument pas. Mais je constate toutefois que si la Société est sensé avancer, le mouvement ne se fait pas en même temps pour tous. Pourquoi tant de haine? Pourquoi ne valorise-t-on pas l'éducation? Ce livre laisse en suspens bien des questions.

Comme vous voyez, En finir avec... ne laisse pas indifférent. Bien écrit, il se lit aussi bien qu'une rubrique de potins dans un journal. Parce que c'est de ça dont il s'agit, mais les aventures ici racontées dans le détail ne sont pas celles des pipeuls, mais bien de leurs contraires. Or un tel livre est essentiel parce qu'une telle voix est de celles qui dénoncent les guerres. son premier livre est de l'anti-fantasy, ses personnages, le contraire des licornes. Édouard Louis n'a pas fini de faire parler de lui, et c'est tant mieux. Je me fait un devoir de le recommander et d'en parler.

À lire absolument parce que marquant, mais coeurs sensibles et porteurs de lunettes roses, s'abstenir.

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