lundi 27 septembre 2010

Imperial Bedrooms, par Bret Easton Ellis, Éditions Knoff


L'homme est dans la quarantaine. Scripteur de films à succès, il mène sa vie entre New York et L.A. Il a tout fait, tout vécu. Sa vie est une succession de réceptions mondaines, de lignes de coke, de pilules pour dormir, de gin et de vodka. Le mec n'est pas sympathique et côtoie des gens pas sympathiques. C'est l'Amérique perverse, glamour au cube, celle qui fascine, la raison de vivre de tout un monde, du média à potins à la ménagère qui les lit avidement. Le décor est campé. On est dans le monde de Bret Easton Ellis.

Cet auteur, jugé atypique par quantités de critiques prétendument "propres et bien élevés", est connu pour ses scènes gores, tant pornographiques que bourrées d'hémoglobine, de violence décuplée. Dans "Imperial Bedroom", ce décor est en fond de scène. Des gens meurent ou disparaissent autour du personnage principal sans pour autant que l'on soit témoin de chacun de ces méfaits. Monté en crescendo, l'atmosphère se tend à mesure que Clay, notre auteur dandy, accumule les avertissements, que la panique s'empare de lui et qu'il se sente menacé du même sort que les pauvres victimes. À qui la faute?

Si on pouvait autrefois l'associer à Stephen King, il serait de mise de ranger maintenant Easton Ellis du côté des auteurs de polars. Bien sur, ça peut encore choquer les vieilles tantes et le style n'est pas tellement plus affable qu'avant, mais Imperial Bedrooms a le mérite, s'il en est un, d'être l'oeuvre la plus "accessible" de ceet auteur reconnu pour ses frasques tant littéraires que personnelles. On est loin de Lunar Park et de sa maison hantée et loin de Glamourama ou de American Psycho et de ses scènes de torture. Ici, les personnages de son premier roman, Less than Zero, évoluent dans le monde du superficiel, marque de commerce de Easton Ellis, et c'est bien. Pas éclatant, non, mais bien.

Pas aussi percutant que ses ouvrages précédents, Easton Ellis rend intéressant, ici encore, une histoire où tous sont du côté des méchants, tout en critiquant le moins subtilement du monde une société du vide où tout est risible, factice et pathétique. Ne serait-ce que pour ça, franchement, ça change vachement de la littérature française.

Pour le côté "américain désillusionné" qu'un certain rigorisme a édulcoré avec la montée de la droite, pour la part de rêve que contient le monde du cinéma, mis à mal par un réalisme qui en choque plusieurs, Bret Easton Ellis est essentiel à la littérature américaine. Imperial Bedrooms constitue assurément une belle occasion de s'initier à son oeuvre pour qui ne l'aurait pas encore fait.

Je me suis tapé l'édition originale en anglais. La version en français devrait être en librairie bientôt si ce n'est pas déjà fait. Je n'ai rien trouvé de probant à ce sujet sur le Net. Je soulignerai que les versions antérieures de ses livres étaient fort bien traduites. Vous m'en reparlerez, tiens.

dimanche 5 septembre 2010

La trajectoire, par Stéphane Libertad, Éditions du Hamac


Les histoires de dépaysement pleuvent. Et comme la pluie, c'est souvent triste. Je suis d'une terre d'accueil où les récits du genre se multiplient avec les années. Le plus souvent, le sujet trime dur, fait face à divers types d'incompréhension, passe de regrets en désillusions, se bat puis voit la lumière. Le peuple ou le pays d'accueil joue souvent le mauvais rôle, du pourvoyeur de barrières, du miroir aux alouettes. Vous me trouvez cynique... Je le suis. Pas que toutes ces histoires se perdent dans le misérabilisme et le pathétique, mais peu s'en faut. Reste qu'on reconnaît le courage, la persévérance de qui nous raconte ses misères et qu'on bout du compte, on critique positivement l'ouvrage.

Combien de fois un Français aura-t-il raconté sa venue au Québec? Je l'ignore. Le plus souvent, de tels récits passeront par l'anecdotique, les bourrades et les clins d'oeil. On n'imagine pas un Français terrifié à l'idée de gagner l'Amérique, et surtout pas la francophone. On n'imagine pas l'Européen dépourvu ni même perdu, alors on rit de ses frasques et de ses surprises et on passe vite à autre chose. Stéphane Libertad a eu la brillante idée et surtout le talent de passer outre à tout ça. On dirait plutôt un récit de voyage qu'une histoire d'immigration. En soit, déjà, on en aime l'originalité.

Un Français gagne le Québec. Je n'ajouterai rien d'autre à l'histoire que je vous la laisserai lire tout aussi avidement que je l'ai avalée. Écrit comme une lettre, voire comme un blogue, La Trajectoire est beaucoup plus un récit qu'un roman, comme indiqué en page couverture. Ce récit comporte des bribes d'une vie toute simple où les décisions sont aussi dures à prendre que dans une vie sédentaire, où les relations sont aussi improbables que dans n'importe quel continent qui se respecte, seulement, l'auteur a su rendre vif ce qui aurait pu être plat, vivant ce qui aurait pu être anodin, original ce qui aurait pu être commun.

Il faut du talent pour raconter au présent. Libertad s'y prend très bien. Son récit nous ramène à ce que, du pays, de la famille, du conjoint ou même de l'enfant, rien ni personne ne pourra nous remonter, nous faire confiance, nous pousser autant que... soi-même. De tels regards sur soi et sur les autres sont rares. Celui-ci est très certainement à suivre.

Dernier propos sur La Trajectoire: la quatrième de couverture parle d'une écriture "qui dérange". Terme galvaudé par excellence, le "dérangement" en question n'a rien du pamphlet sulfureux ou du règlement de compte en public. À tout le moins peut-on dire de Libertad qu'il ne se formalise pas du politiquement correct et écrit sans fioritures. Sans déranger aucunement, il arrange, plutôt, et transforme sa lecture en de très agréables moments qu'on aimerait continuer avec lui autour d'un café ou d'un demi.

Excellente découverte chaudement recommandée... et à éviter si vous souhaitez être... dérangé.