dimanche 15 septembre 2024

Je est un autre, par Jon Fosse, éditions Christian Bourgois

Je m'étonne encore d'aimer autant Jon Fosse, de trouver dans ses livres quelque chose qui me réconforte. Et pourtant, le narrateur qui se raconte dans cette trilogie est l'incarnation même de l'angoisse. Jamais, je crois, un auteur n'a aussi bien rendu tout ce qui passe par la tête d'un angoissé. Et pourtant, c'est bon et beau comme un poème.

Comme dans le premier livre, on retourne dans la tête d'Asle, qui associe le moment présent à ses souvenirs, ses espoirs passés et ses craintes à venir. " Aie-je bien vécu ma vie? ", se demande-t-il, à travers ses préoccupations pour son ami malade et ses questionnements sur sa profession d'artiste peintre.

Comme la voiture dans laquelle il aime se retrouver pour calmer ses pensées, on embarque avec lui dans ses divagations où, dans une seule phrase, il passe du présent au passé, et du passé au présent. Son angoisse est immense, oui, mais son coeur est bon, et c'est pourquoi, si on se laisse porter par cette écriture dense, on s'attache à lui. Ses questionnements sont les nôtres, ses impressions autres aussi. En tout cas, moi, ça me convient parfaitement.

Quant à tout ce qu'il dit sur l'art, de l'importance qu'elle a dans sa vie, on ne veut que l'appuyer, faire comme lui, qui nous invite même à remplacer sa peinture à lui par la littérature, avec laquelle on fait sa connaissance. Y'a quelque chose de subtil, dans cette oeuvre, qui nous dit: Profitez de ce que vous aimez. L'art ne fait de mal à personne. Sachez l'apprécier, il est partout, au-delà de la vie et de la mort.

Je suis content d'avoir découvert Jon Fosse, et j'espère que d'autres que moi en feront la découverte. Pour l'anecdote, je dirais qu'il est cet autre norvégien, après Knausgaard, dont le style aurait dû avoir un effet repoussoir, mais non. Y'a une magie qui s'opère, et j'embarque. Bon, Fosse, c'est pas Knausgaard, quoi que... Si vous avez aimé le premier, je vous invite à découvrir l'autre.

Et puis bon, pas me retenir, je pousserais bien un petit "Vive la Norvège", tiens.

mardi 3 septembre 2024

Demon Copperhead, par Barbara Kingsolver, éditions Harper & Collins

Je viens de passer un épisode lumineux de ma vie de lecteur avec Damon Copperhead, un grand livre, c'est certain.

Barbara Kinsolver, que je lisais pour la première fois, campe son histoire en pleine culture américaine blanche et pauvre dans un comté rural de Virginie. Ces gens se définissent eux-mêmes de rednecks. Or, qui sont-ils? Pourquoi leur colle-t-on tous les défauts du monde? Pourquoi toute cette condescendance? Pourquoi cette culture de loosers?

L'histoire se passe principalement au début des années 2000. La plupart des personnages sont jeunes, de parents absents parce que souvent décédés. L'espérance de vie est peu élevée dans ces régions et on devient le plus souvent parent lorsqu'on est adolescent. Les enfants sont élevés par qui le peut: grand-parents, voisins, services sociaux. Damon est issu de tout ça, avec tout ce qui va avec ce contexte. Orphelin dès 11 ans, il vivra sa vie comme il peut en foyers d'accueil, fera une fugue, vivra une rédemption et arrivera ce qui arrive encore trop souvent: l'oxycontin, ses dérivés et ses conséquences.

Kinsolver raconte cette courte vie comme une épopée, à travers une gallerie de personnages hallucinants. Bien sur, il y a les éclopés, ainsi que les profiteurs, les scélérats, mais aussi, ici et là, des êtres d'une humanité forte et belle. Le résilient Damon naviguera de l'un à l'autre. Faux amis, professeurs bienveillants, coach de sport alcolo, et fille de voisins amis se succéderont au fil de ses lourdes peines et de sa découverte du monde, difficile comme ça s'peut pas.

Attention: vous serez bouleversé à la fin de ce livre où les couches de violence se superposent à celles de bienveillance. Les dialogues sont superbes, et les sentiments décrits sont d'une rare intensité, beaux, précis. Barbara Kingsolver est certainement une grande autrice. Vive ces Américains qui nous font découvrir ce pays incroyable d'un point de vue rendu trop rare, celui de l'intérieur, tant du peuple de ce pays que de son âme.

Superbe roman (disponible en français chez Albin Michel).