dimanche 29 mars 2015

Roman avec cocaïne, de M. Aguéev, éditions Belfond

Un adolescent raconte sa vie dans le Moscou de 1917. Si vous pensez à quelque chose de terne, de classique ou de poussif, vous faites totalement fausse-route. Ce livre est saisissant, son ton est exceptionnel et son texte d'une rare intelligence. Je ne me rappelle plus la dernière fois où j'ai fait une telle découverte.

J'ai bien cherché sur l'auteur. Ce M. Aguéev est bien décrit en préface du livre. Rien n'est équivalent ailleurs sur internet. À tout le moins cette brève description vous mettra au parfum et titillera certainement votre curiosité. J'avoue que cet aura de mystère sur un auteur pratiquement inconnu ajoute au livre, parce que cette fois plus que n'importe quelle autre, on peut qualifier un ouvrage de "sorti de nulle part". Quelle belle initiative des éditions Belfond!

Bon, d'accord, le titre vous rebute. Vous, les mentions à la drogue, vous trouvez ça pas bien. D'accord, mais si vous invoquez ce seul argument pour éviter ce livre, non seulement vous faites à peu près fausse route, mais vous manquez quelque chose d'exceptionnel. Le seul premier chapitre vaux à lui seul tout le livre. L'adolescent est à son école (sans doute un lycée) et il voit arriver sa mère, venue pour payer un montant en argent, oublié par le jeune homme à la maison. Le narrateur, cet adolescent, raconte sa honte de sa mère, les non-dits, les regards fuyants, la peur du jugement des autres. La table est mise. C'est totalement bouleversant, non seulement par le contexte, mais aussi par l'écriture.

Cet Aguéev du début du dernier siècle écrit avec une limpidité rare. La langue est si belle qu'elle nous retourne, et en même temps, le propos est si clair, si transparent de naïveté et de lucidité qu'on en tombe à la renverse. On ressent facilement les sentiments du jeune home parce qu'à cet âge, on a vécu ces sentiments de la même façon. Roman d'apprentissage s'il en est un, ce livre raconte des sentiments forts vécus pour la première fois: la honte, l'amour, mais aussi, la fierté et le désespoir. Certaines scènes de concours oratoires au lycée cité précédemment sont épiques. D'autres où le jeune homme, issu d'un milieu modeste tente de faire sa place parmi d'autres jeunes issus de milieux beaucoup plus aisés sont tout aussi crédibles, forts. Qu'on ait ou non vécu de telles expériences, on y croit par le ton du narrateur. On assiste au temps où l'enfance fait place à l'âge adulte, où les amitiés laissent les affinités personnelles de côté au profit des apparences sociales. C'est dur, mais encore, je le répète, tellement bien raconté que parfois, on croirait presque lire un reportage sur la clientèle étudiante d'un établissement scolaire de notre époque.

Les dernières pages donnent sa raison d'être au titre. Sur le même mode découverte, le narrateur se fait entrainer à faire l'usage de drogue. Les descriptions de ses expériences font penser à un reportage télé où on aurait collé une caméra à l'épaule d'un personnage, le suivant minute après minute, captant tout ce qu'il ressent, tant vers le haut que vers le bas, d'une minute, d'une heure, d'un jour à l'autre. C'est absolument captivant.

Véritable découverte, Roman avec cocaïne va, à mon sens, dans la cour des Grands. J'ai peu de souvenir de mes lectures, il y a longtemps, de Dostoïevski. Je me souviens seulement m'être surpris d'être passé au travers des Frères Karamazov avec une étonnante facilité. Il faut donner à ces russes un caractère simple, très pragmatique mais beau, parce que sans censure, sans faux-semblants ni formules toutes faites.

Roman avec cocaïne est, pour qui veut sortir des sentiers battus et être charmé, à lire absolument. À vrai dire, je connais peu de gens qui n'aimeraient pas. Vraiment!

Tout simplement superbe.

jeudi 26 mars 2015

Silo, par Hugh Howey, éditions Babel

Des gens vivent dans un silo de 144 étages. Ce silo est creusé sous terre. De toute évidence il est immense. Des étages contiennent des jardins, d'autres des machines, des habitations, des bureaux. Les gens qui y vivent sont là depuis plusieurs générations et n'ont d'idée du monde extérieur que ce que leur envoient des capteurs installés à l'extérieur. On voit ces images aux étages supérieures. Au loin, une ville en ruine, entourée de collines où le sable tourbillonne. Oui, on est en pleine science fiction et comme mise en scène, c'est parfait.

L'entrée en scène est exaltante. On suit d'abord le shérif du silo dont la conjointe est décédée parce que sortie dehors. Or, lui aussi sortira du silo et ne reviendra pas... Puis, on suit la mairesse du lieu, partie avec le shérif adjoint passer une personne en entrevue pour combler le poste le shérif. Qu'il soit dit que ces gens vivent littéralement dans un escalier qui relie les étages entre eux. Dans les étages du haut, on a les bureaux du maire et du shérif, un peu plus bas, ceux d'un centre de serveurs informatique, et plus on va par en bas, plus on trouve de gens qui travaillent aux mines, tout au fond, et aux machines. C'est là d'où émergera la candidate qui sera appelée à monter.

Avouez que comme métaphore, on ne pourrait être plus clair: le bas est col bleu, le haut est col blanc. Cette société très organisée doit, pour assurer son bon fonctionnement, respecter des lois strictes sur la circulation de l'information et le procréation, par exemple. On fait mention de prêtres et aussi, fait absolument pas anodin, les habitants du silo ne savent pas d'où ils viennent. On a annihilé leur passé, ce qui constitue, avec l'extérieur du silo, un sujet tabou dont la mention publique est passible de sanction grave.

Quelle excellentes prémisses. Toujours aussi peu amateur de sci-fi, me voici quand même captivé. C'est écrit de façon classique, la traduction de l'américain est honnête, mais les idées sont bonnes. Alors l'action commence. Des gens disparaissent et d'autres veulent savoir d'où on ils viennent. C'est là qu'apparait... le méchant. D'abord je me dis que c'est sans doute un cliché parce que jusqu'ici, ce livre est rempli de bonnes idées, et même si c'est "gros", c'est original. Mais ce méchant est méchant. Méchant méchant méchant, d'un genre Gargamel. Un peu plus et il fait hin hin hin le dos courbé. Ses descriptions sont sans équivoques. Pendant ce temps, la candidate venue du fond devient l'héroïne et puis boum! ça explose, tant dans l'action du livre que dans mon intérêt. Apparaissent, dans un décor où on aurait jamais cru en voir, des fusils, des gens du bas valeureux, des gens du haut soumis aux ordres. Puis viennent les gros bras, et à travers ça, l'héroïne passe à travers des épreuves où même Astérix avec potion magique aurait failli.
La sci-fi est un genre, oui, mais la sci-fi américaine, du genre "fantasy" ou plutôt "roman d'anticipation" l'est encore plus. Plus j'avançais, plus je voyais les scènes de film, les dialogues s'y prêtant. Oui, l'action m'a tenu en haleine, mais parfois, devant des prouesses plutôt invraisemblables mais aussi devant de bonnes idées de personnages (les prêtres, par exemple) ou de situations peu ou pas développées, je suis devenu exaspéré. Avais-je à faire avec un roman à la Hunger Games, à quelque chose d'adolescent? Pas nécessairement, mais une chose est certaine, c'est que la formule m'a semblé toute faite, comme pour ces séries à succès. Il est un moule dont ce type de littérature, comme certains films d'action, semblent ne pas pouvoir se défaire. Pour ma part, ça noie mon imagination. Je n'aime pas présumer dès le premier tiers du livre que l'héroïne survivra, qu'elle sera vaguement amoureuse d'un autre personnage vertueux et que ses ennemis périront. Ça m'énerve. Et ce, même si, ou plutôt malgré une idée originale remarquable qui aurait pu mener à des choses, des scènes ou des situations fascinantes parce qu'imprévisibles. Pas que tout soit prévisible, dans Silo mais... faut se l'avouer, dès qu'on sait que deux autres tomes suivent, on tire rapidement certaines conclusions sur les personnages principaux.

Original dans son genre, Silo saura certainement plaire aux amateurs du genre. L'action est enlevante, le décor fabuleux mais les personnages sont un peut-être un peu faciles. Content de l'avoir lu, je m'en contenterai. Si on veut me raconter les deux livres suivants, je serai tout ouïe...et ça me suffira.

Impression de déjà vu.

dimanche 1 mars 2015

La vie habitable, par Véronique Côté, éditions Ateliers 10, collection Documents

Le titre complet de cet ouvrage parle par lui-même: poésie en tant que combustible et désobéissances nécessaires.

On connaît sans doute tous dans nos entourages respectifs au moins une personne qui consomme, par choix ou pas, des ouvrages "pour l'inspiration". De la démarche spirituelle à l'apprentissage professionnel en passant par les sacro-saints bouquins de gestion du stress, de ses employés ou de sa vie, ces essais ou traités donnent, ose-t-on croire, des orientations. Ce sont autant de panneaux de signalisation sur les autoroutes des vies de leurs lecteurs.

Ceci dit, mis à part quelques Paul Coehlo, les gourous/experts/profs auteurs à succès se font rares. Les idées viennent et s'en vont. Les pilules font leur effet le temps d'une digestion.

Heureusement, la pharmacopée contient un rayon de produits naturels. Branchée directement sur l'humain, la série de l'équipe de la revue Nouveau Projet est en train de créer une jolie habitude au Québec, soit celle de penser autrement. Par exemple, dans ce sixième tôme de la série Documents, Véronique Côté a le courage de plaider la cause des choses qu'on prétend connaître et qu'il est de bon ton d'affirmer qu'on ne les aime pas. Ainsi en va-t-il des légumes lorsqu'on est petit, puis des suchis ou autres mets exotiques du genre en vieillissant. Puis vient la poésie. On en entend parler par-ci par-là et la première chose qu'on en sait, c'est que personne n'aime ça, alors sans se poser de questions, on ne l'aime pas, et ainsi, on est dans le ton. On est "normal".

Alors on vieillit mal, on se retrouve dans une société qui a tout mais on en veut plus, on se sent frustré parce qu'il nous manque quelque chose. Et si c'était de la poésie dont on manquait? Véronique Côté ne parle pas (nécessairement) de poèmes abstraits ou de performances à l'emporte pièce mais de quelque chose qui ressemble au calme et au moment présent. Indignée par la dénonciation de tout ce qui concerne le bien commun, par les chroniques d'opinions médiatisés qui font les choux gras des entreprises de presse, Côté lance ici un grand plaidoyer pour la vie débarrassée d'angoisses préfabriquées par des considérations économico-pragmatiques. Son beau texte incite à ne pas avoir peur ni honte de prendre le temps d'apprécier autre chose que son travail, et de penser à d'autres qu'à soi même.

Inspiré, ce texte d'à peine 90 pages contient aussi quelques questions/réponses adressées à des personnalités québécoises. Toujours une première question: dans le cadre de ce que vous êtes ou de ce que vous faites (philosophe, anthropologue, cinéaste, etc), comment définissez-vos la poésie et précisez-en l'importance. Les réponses sont diverses et stupéfiantes.

Je croyais ne pas connaître la poésie, or j'ai appris que j'étais en plein dedans... enfin pas toujours, mais comme pour Véronique Côté, j'y trouve le meilleur échappatoire, le meilleur exutoire. Pas du tout contemplatif mais porté à prendre le temps d'aimer toujours plus ce qui me construit, je m'aperçois aussi que tel n'est pas le lot de la majorité des gens, contraints par des obligations imposées par on ne sait plus qui, venues d'on ne sait plus où. Et c'est bien triste. Or, ces gens se réclament du bien commun...

Ce texte dresse un portrait de ce que pourrait être la vie si elle était plus habitable. Moi qui ne lit que peu d'essais, avec celui-là, je crois être tombé sur le bon parce que comme pour vous j'espère, je l'endosse totalement. À lire absolument, ce livre fait du bien.