samedi 15 novembre 2014

Mayonnaise, par Éric Plamondon, éditions Le Quartanier

Après Johnny "Tarzan" Weissmuler, Éric Plamondon se penche sur Richard Brautigan, un écrivain américain que je ne connaissais pas, dans le deuxième tome de sa trilogie 1984.

Comme dans Hongrie-Hollywood Express, Plamondon explore la vie d'un personnage, et particulièrement sa fin, arrivée en 1984, justement, tout en donnant la parole à un narrateur qui, lui, vit à notre époque. Si le premier personnage a bel et bien existé, on imagine le second fictif... à moins qu'il ne s'agisse de l'auteur. En fait, le narrateur, s'il parle souvent de lui, se présente quand même assez rapidement. Ce narrateur, on peut le supposer qu'il s'agisse de l'auteur du livre, puisqu'il s'agit d'un fan indéniable de Brautigan. Mayonnaise est donc le récit de la rencontre d'un personnage fictif avec un écrivain ayant déjà vécu.

L'auteur raconte cette rencontre par bribes, en alignant des anecdotes qui ramènent tantôt à Brautigan, tantôt au narrateur, tantôt à tout autre personnage ou situation ou fait historique, enfin un tas de choses. Plusieurs de ces choses sont là en incise. De Kurt Vonnegut à Jack Nicholson en passant par Charlie Chaplin, on devine beaucoup de recherche et si on s'en donne la peine, on google beaucoup en lisant Mayonnaise. En fait, on s'en rend compte, les livres d'Éric Plamondon se distinguent par leur forme. Je dirais que c'est écrit pour bien se lire.

Alors pourquoi j'embarque aussi difficilement?

Tout, là dedans, est pourtant sympathique. Le personnage historique: hors norme, mal compris mais déterminant; les anecdotes: ludiques, drôles, intelligentes; le narrateur... bon, pour lui je sais pas trop. En fait, il pourrait être un peu n'importe qui. S'il a un rôle autre que de raconter Brautigan, je l'ai assez mal saisi. Mais l'ensemble est bien, ça coule. C'est fouillé, très fouillé, même, limite encyclopédique. Ça parle de vivre sa vie, de réussites, de défaites... En fait, malgré des chapitres courts, ça parle beaucoup.

En lisant Plamondon, j'ai l'impression de revenir à l'école secondaire et d'assister à la présentation parfaite d'une recherche réalisée par un premier de classe. Tout y est, y'a pas d'erreur, c'est léché, il a pensé à tout, ça mérite un A. Après une telle présentation, je reste avec un espèce de sentiment de frustration du genre "il a fait ça pour bien faire" ou "il a voulu nous impressionner". Bref, il en a trop fait. Mais...

La fin de Mayonnaise est superbe. En racontant sa fin, l'auteur magnifie Brautigan et rend hommage à son esprit libre. En 4 ou 5 pages, il refait le tour du personnage en parlant de lui avec coeur. Là, j'ai totalement embarqué. J'me suis dit que oui, je comprends qu'on ait aimé un mec du genre, qu'on en soit devenu fan. Vivement un peu plus de Richard Brautigan. Mais n'empêche, j'ai terminé Mayonnaise et c'est bien. C'était un peu lourd, un peu académique, un peu froid. J'ai presqu'envie de m'excuser d'avoir trouvé ce livre trop... trop tout.

Cette entrevue d'Éric Plamondon réalisée à la radio de Radio-Canada explique la passion de l'auteur pour son personnage principal, Richard Brautigan.

lundi 3 novembre 2014

La ballade d'Ali Baba, par Catherine Mavrikakis, éditions Héliotrope

Tour juste sorti des souvenirs d'enfance de Paul Auster, me voici, sans avoir vraiment voulu que ça arrive, qui émerge maintenant de ceux de Catherine Mavrikakis. Ce que je veux dire ici, c'est que deux fois ce même thème du retour sur l'enfance, c'est lourd. J'aurais du faire attention.

On ne peut reprocher à quiconque de raconter son passé. Pour plusieurs écrivains, on dirait même qu'il s'agit d'un passage obligé. Certain qu'il s'agit d'une source fertile d'inspiration, on le constate à lire Mavrikakis. Mais à l'autre bout, en tant que lecteur, il faut être disposé.

J'aime les auteurs pour leur imaginaire, leur façon de m'aider à m'évader du quotidien, de ce que j'appelle encore naïvement "la vraie vie". Lorsqu'ils me ramènent à des tranches de vie déjà vécue, je me rabat sur leur façon d'écrire et l'originalité de leur récit. C'est alors qu'ils m'embarquent. Mais si rien de tout cela n'arrive, on seulement une partie, j'aurai plutôt l'impression d'être témoin d'un genre de thérapie plus ou moins saine. Ici, avec Mavrikakis qui part dans toutes les directions du temps d'un chapitre à l'autre, qui va de l'enfance de son père en Grèce et en Algérie à la sienne de l'autre côté de l'Atlantique, avec des bouts de fiction où elle vit des aventures avec le fantôme de son père, je n'ai rien à reprocher pour l'originalité du traitement. Alors qu'a-t-il manqué pour que j'aie terminé ce livre avec soulagement?

On n'en est pas au premier modèle de mauvais père des années 70, à plus ou moins dix ans près, au modèle du père irresponsable, libéré du poids d'une enfance rude qui fait de sa "nouvelle" vie quelque chose d'aléatoire, tourné vers des besoins égoïstes. Pourtant, au contraire des portraits de pères québécois, on a ici une variante intéressante en ce que l'auto-dépréciation et le remords ne prennent pas une trop grande place. Restent de grandes parts d'ingratitude, d'absence, mais aussi d'amour, d'urgence de vivre qui font d'une telle vie une histoire à raconter. C'est bien, ça traverse non seulement le temps mais aussi la géographie, mais à force, je m'aperçois que ça me lasse un peu.

Et il y a quelque chose d'autre... Habitante de Montréal, où elle est né, j'ai perçu chez Catherine Mavrikakis, la citoyenne montréalaise, une espèce de non-amour pour sa ville, pour sa position géographique. C'est possible, j'en conviens. On ne perçois pas tous son lieu de résidence de la même façon. Mais ça m'a agacé, voir déçu. J'ai toutefois compris la force de cette écrivaine qui a su si bien raconter l'Amérique, dans son tout américain. J'ai compris que c'est le continent qu'elle habite, et non la ville. Voilà pourquoi elle saura sans doute me faire voyager encore comme elle l'a fait avec Le ciel de Bay City beaucoup plus qu'avec des chroniques sur le lieu où nous habitons tous les deux. Il y a les écrivains du lieu, ceux du temps et ceux du monde. Je place Catherine Mavrikakis dans la troisième catégorie, qui lui va très bien. Pour le reste: ça me va moins.

Cette ballade d'Ali Baba, en fait, prend tout son sens dans une escapade faite au sud des États-Unis, à partir de Montréal. C'est son point de départ et son point de chute... et c'est là où moi, j'ai plutôt décidé de ne pas embarquer.

Pour le rêve américain, tant celui de son père que pour le sien: oui, il faut lire ce livre. Pour le reste, si ce rêve ne nous soulève pas, on fait comme moi et on reste au port en trouvant le temps long.